Le mécanisme de base de toute séparation chromatographique consiste à créer des conditions dans lesquelles les molécules d'analyte présentes dans le mélange de l'échantillon se déplacent dans le système, mais à des vitesses différentes, de sorte qu'elles sont suffisamment séparées les unes des autres pour être détectées et quantifiées lors de leur élution dans la colonne analytique. Pour mettre ce processus en œuvre, la chromatographie utilise deux composants principaux : une phase stationnaire et une phase mobile. Le rôle principal de la phase stationnaire est d'arrêter ou de retenir le mouvement du composé, tandis que celui de la phase mobile est de retenir et de forcer les composés à se déplacer de l'entrée vers la sortie du système. Ce mécanisme est le fondement de la GC, de la LC ou de la CC. La principale différence entre la CC et la LC ou la GC réside dans la façon dont les propriétés de la phase mobile influencent les comportements chromatographiques respectifs.
En GC, la phase mobile est normalement un gaz inerte ou non réactif, généralement de l’hélium ou du N2. Aux températures et pressions de fonctionnement de la GC, la phase mobile ne peut pas solvater les molécules d'analyte ni modifier la surface de la phase stationnaire. En GC, la phase mobile agit principalement comme support ou conducteur des molécules d'analyte à travers la colonne. La rétention et la séparation de l'analyte sont induites uniquement par les interactions entre les molécules de l'analyte et la phase stationnaire. Elles sont seulement le résultat des interactions entre les molécules d'analyte avec la phase stationnaire. Elles sont représentées schématiquement sur la Figure 3 avec un espace vierge autour des molécules d’analyte.
En revanche, en LC, la phase mobile joue un rôle actif, car ses molécules interagissent fortement avec les molécules de l'analyte et la phase stationnaire. La phase mobile influe sur la rétention des analytes non seulement en solvatant directement les analytes, mais également en influençant les interactions entre l'analyte et la phase stationnaire qui se font concurrence au niveau de sa surface (Figure 3).
La Figure 3 présente la LC en mode RPLC et en mode NPLC. Notez que l’une des principales différences entre ces deux modes LC réside dans la composition de la phase mobile. La RPLC utilise une base d’eau, tandis que la NPLC utilise une base organique. En RPLC, la phase mobile aqueuse, conjointement à la phase stationnaire C18, modifie efficacement les interactions des analytes avec la phase stationnaire. Elle joue ainsi un rôle majeur dans la résolution des analytes des échantillons dans une grande variété de mélanges de composés. Dans le développement de méthodes RPLC, la première modification est souvent apportée à la phase mobile, et non à la phase stationnaire. En comparaison, en NPLC, la phase mobile à base d'hexane ou d'heptane joue un rôle relativement modéré et la séparation est en grande partie obtenue en modifiant la chimie de la phase stationnaire.
Le rôle de la phase mobile dans la CC se situe quelque part entre la RPLC et la NPLC en raison des propriétés particulières du CO2, qu’il soit supercritique ou non. Le CO2 comprimé est non polaire, comme l'heptane ou l'hexane. Sur cette base, la CC s’apparente davantage à la NPLC. Mais l'une des principales différences réside dans le fait que le CO2 est capable de se mélanger complètement aux cosolvants polaires, tels que le méthanol, l’éthanol, l’acétonitrile, etc., et peut donc être utilisé en mode gradient, contrairement à la NPLC qui est presque toujours utilisée en mode isocratique. De plus, les phases mobiles de CC sont beaucoup plus tolérantes à la présence de petites quantités d’eau que la NPLC, ce qui peut jouer un rôle important dans l’élution de l’analyte.
La section suivante présente une comparaison systématique de la CC avec la RPLC et la NPLC, en se basant sur les différences de propriétés entre leurs principaux solvants.
Le CO2 est un solvant non polaire dont l'indice de polarité est similaire à celui de l'heptane (= 0,1). Mais contrairement à l’heptane, le CO2 présente un moment quadripolaire non nul (-13,4 ±0,4 × 10–40 C m2) et il est entièrement miscible avec les solvants organiques très polaires, par exemple l'acétonitrile (indice de polarité = 5,8) et le méthanol (indice de polarité = 5,1). Bien qu'il soit peu miscible dans l'eau (indice de polarité = 10,2), il est miscible dans des mélanges méthanol/eau, isopropanol/eau ou acétonitrile/eau contenant des proportions importantes d'eau. Une plage de miscibilité aussi large permet à la phase mobile de la CC d'étendre sa polarité sur une plage plus large que celle des phases mobiles NPLC et RPLC. Le Tableau 1 présente un résumé de la situation en termes de valeurs éluotropiques (force d’élution) et d’indices de polarité des solvants utilisés en RPLC, NPLC et CC.
Notez que dans le Tableau 1, la phase mobile aqueuse de la RPLC ne peut utiliser qu’une plage limitée de la série éluotropique en raison de la miscibilité limitée de l’eau avec la plupart des autres solvants organiques. De même pour la NPLC, la phase mobile à base d'hexane/heptane ne permet pas une large plage éluotropique en raison de la miscibilité limitée des composés organiques non polaires avec les solvants fortement polaires. Le fait que les solvants organiques ne sont pas tous largement miscibles, même entre eux est un autre problème présenté par la NPLC, ce qui entraîne une incompatibilité de certains mélanges. En CC en revanche, le CO2 comprimé est miscible avec tous les autres solvants sur l’ensemble de la série éluotropique, ce qui ouvre une large gamme de choix de phases mobiles pour influencer la sélectivité des séparations (voir le Tableau 1). Bien que le CO2 ne soit pas polaire, la CC est comparable à la RPLC, car elle peut avoir une force éluotropique beaucoup plus large que la NPLC, en particulier du côté des polarités les plus élevées. Par exemple, en combinant du CO2 avec du méthanol, les forces éluotropiques de la phase mobile peuvent être programmées de 0 à 0,73Eo.
En plus de sa plage éluotropique étendue, la phase mobile à base de CO2 de CC est compatible avec la plupart des chimies de phase stationnaire. Le Tableau 2 répertorie les phases stationnaires couramment utilisées pour la NPLC et la RPLC. La plupart des séparations en mode RPLC sont réalisées avec des phases stationnaires C18, et relativement peu de séparations utilisent d’autres phases liées. Certaines phases stationnaires répertoriées ne peuvent pas du tout être utilisées en RPLC en raison de leur polarité plus élevée. De même que pour la NPLC, la sélection de la colonne est limitée par la plage de polarité de la phase mobile. Avec la CC, en raison de sa plage de polarité plus large, la sélection de toutes ces chimies de colonnes est possible, ouvrant ainsi une plus large gamme de choix de sélectivité (voir la Figure 4). Comme noté par West et Lesellier, toutes ces chimies pouvant fonctionner avec la même composition de phase mobile, la possibilité de coupler des colonnes de polarités très différentes est ouverte.
La miscibilité du CO2 est également importante, car la CC est compatible avec une large gamme de diluants d’échantillons (solvants dans lesquels l’échantillon est dissous ou dilué). Cette fonctionnalité en CC a un impact important sur les procédures de travail générales du laboratoire. La préparation des échantillons représente souvent le goulot d'étranglement le plus important dans un laboratoire de chromatographie. Les méthodes de préparation des échantillons les plus courantes consistent à dissoudre les analytes à étudier dans un solvant incompatible avec le système LC utilisé. Par exemple, de nombreux analytes se dissolvent facilement dans un solvant organique et, par conséquent, ils sont mieux extraits. Dans la mesure où de grandes quantités de solvants organiques sont incompatibles avec la RPLC, convertir la solution ou l’extrait organique en quelque chose de compatible avec la RPLC (Figure 5) nécessite souvent des étapes supplémentaires. La CC est compatible avec l’injection directe d’échantillons dissous dans des solvants organiques. Il n’est plus nécessaire d’effectuer les étapes d’évaporation de ces solvants et de reconstitution (très longues) de l’échantillon dans les diluants aqueux nécessaires aux séparations en phase inverse. Il en résulte des économies considérables sur l’ensemble de l’essai. De plus, la durée d’analyse peut être beaucoup plus courte, ce qui a un impact global significatif, en particulier pour les laboratoires utilisant plusieurs systèmes RPLC configurés pour analyser de nombreux échantillons.
En résumé, en combinant du CO2 comprimé non polaire avec un cosolvant à l'une des extrémités du spectre éluotropique, associé à une plus grande diversité de phases stationnaires compatibles avec la CC, il est possible d'explorer un espace de sélectivité exceptionnellement grand, ce qui rend la CC applicable à une grande variété de séparations complexes.
Un autre avantage de la CC réside dans sa faible viscosité et la diffusivité élevée des molécules d’analyte dans la phase mobile de CC qui en résulte. Du point de vue des propriétés physiques, l'efficacité d'une colonne chromatographique est contrôlée par la diffusivité de l'analyte dans la phase mobile. Plus la diffusivité d’une molécule est élevée, plus elle entre et sort rapidement des pores stationnaires des particules, ce qui permet d’obtenir un rendement élevé même à une vitesse de phase mobile élevée. En CC, même après ajout de volumes importants de modificateur liquide (par exemple pour le CO2/méthanol (70/30, % mol/mol), la viscosité de la phase mobile est au moins égale à la moitié de celle des phases mobiles en LC (voir Tableau 3). Cela signifie que la CC peut fonctionner à des débits de phase mobile beaucoup plus élevés, sans sacrifier l’efficacité de la colonne. Cela fait de la CC une solution idéale pour les analyses à haut rendement.
L’avantage de la CC est significatif dans deux domaines clés d’application que sont le screening chiral rapide et le remplacement de la chromatographie en phase normale pour les séparations achirales. Pour le screening chiral, la durée d’analyse est réduite de 20 minutes à seulement 3 minutes, soit une durée divisée par sept, avec une résolution accrue. Cette amélioration est principalement due à l’emploi d’un gradient de solvant en CC, ce qui n’est pas possible en NPLC. Un autre avantage de la CC est qu'elle consomme moins de solvant, d'où une réduction substantielle des coûts.
Le remplacement des solvants organiques de la phase normale par une phase mobile composée principalement de CO2 comprimé (Figure 6) réduit le coût par analyse d’environ six dollars à seulement cinq cents par échantillon. L’impact financier global relatif à la réduction de la durée d’analyse et aux coûts d’achat et d’élimination des solvants est exceptionnel.
Le Tableau 4 répertorie les avantages des phases mobiles en CC par rapport à celles en LC. Outre les avantages associés à la miscibilité et la faible viscosité, cette technique présente également une faible tension de surface. Cette faible tension permet à la phase mobile d'entrer plus rapidement dans les pores des particules de la phase stationnaire, ce qui accélère l'équilibrage de la colonne.
Le fait qu'il soit moins cher, plus sûr à utiliser et plus durables sont d'autres propriétés du CO2 qui rendent la CC très intéressante en tant que système chromatographique. Le CO2 est immédiatement disponible et ne dépend d'aucun autre processus critique (par exemple celui de l’acétonitrile qui est un sous-produit de l’industrie pétrochimique). Le CO2 de qualité commerciale est neutre en carbone et est considéré comme un solvant vert. Le CO2 est bien moins cher que d'autres solvants organiques et il peut être directement rejeté dans l’atmosphère (s’il n’est pas recyclé) sans coût d’élimination.
Le CO2 est ininflammable, non toxique et plus facile à stocker. Il est impossible de trouver une phase mobile aussi économique et respectueuse de l’environnement qui réunit les propriétés du CO2, sa miscibilité et sa faible viscosité, ce qui rend la CC supérieure à la LC pour de nombreuses applications. Les avantages cumulatifs de toutes ces propriétés, répertoriées dans le Tableau 4, font du CO2 un solvant unique.
Comme indiqué précédemment, d’un point de vue chromatographique, peu importe pour la CC que la phase mobile soit supercritique ou non. Cependant, pour effectuer la séparation chromatographique, il est absolument nécessaire que la phase mobile de CC soit homogène et non un mélange hétérogène de gaz et de liquide. Pour garantir son homogénéité, la phase mobile en CC est maintenue au-dessus d’une certaine pression, qui peut être facilement réglée à l’aide d’un régulateur de contre-pression automatisé (ABPR).
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